« Des jumeaux vrais ne sont qu’un seul être dont la monstruosité est d’occuper deux places différentes dans l’espace. »

Le même visage depuis leur tendre enfance; ils sont identiques, comme deux copies l’un de l’autre. Aidan s’est toujours demandé pourquoi son frère lui ressemblait autant physiquement alors que, au final, ils sont complètement différents. Son double le fascine, il l’admire, il voudrait être comme lui. Kane était l’enfant désiré et chérie, tout le monde l’appréciait et voulait jouer avec lui mais, Aidan était l’être différent. Il était considéré comme un monstre, sans émotion et si étrange, inaccessible. Le plus faible des deux, c’était bien lui pourtant, ce n’est pas quelque chose qui le dérangeait, bien au contraire. Il se moquait de ce que pouvaient penser les autres, tant que son frère était à ses côtés. Le monde d’Aidan tournait autour de son jumeau, sans lui, il ne pouvait rien faire, il se sentait comme perdu, sans repère, ne sachant que faire. Il aimait tant ce garçon, au visage parfaitement bien dessiné qui reflétait le sien, qu’il était le seul à pouvoir faire n’importe quoi de lui. Cet amour qui lui portait en devint une obsession, il se moquait éperdument que ses parents les laissaient pour s’occuper d’un monde autre que le sien, il se moquait totalement de ce que ses parents pouvaient bien penser de lui bien qu’il sache que Kane était leur préféré. Oui, il se moquait de tout sauf de son frère. Leur mère pensa au début que son deuxième fils était muet car jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de quatre ans, aucun son n’était sorti d’entre ses lèvres puis, l’autisme traversa son esprit mais les médecins soutenaient qu’aucune de ces maladies étaient à envisager. Non, Aidan n’était ni muet ni même autiste. Non, Aidan était simplement subjugué par ce garçon si identique à lui-même, ce garçon qui le protégeait, qui le rassurait autant qu’il pouvait l’effrayer. Les valises étaient prêtes, les deux parents avaient décréter que les jumeaux pouvaient rester, comme des grands lors de leur quatorze ans, ensemble pendant plusieurs jours. Aidan se retrouva enfermer sous l’emprise des bras de Kane lorsque la nouvelle fut annoncée. Les parents partaient en voyage pour une énième action humanitaire mais cette fois-ci, tous les deux. Un baiser sur leur front et les voilà déjà en route pour sauver le monde. L’excitation émanait de Kane et Aidan ne pouvait qu’être heureux de se retrouver qu’avec son frère. Des nuits passées ensemble, à simplement se blottir contre le corps de son ainé d’une vingtaine de minutes, à humer son odeur comme si sa vie en dépendait, à laisser ses doigts apprendre par cœur ce corps qui n’est que reflet du sien. Aidan ne pouvait vivre sans la présence de l’autre. Ce qu’il se demandait parfois était « est-ce que lui aussi ressent ce que je ressens ? » car, il n’était peut-être pas couper de la parole mais les mots lui manquaient. Il a toujours eu du mal à s’exprimer. Il savait, il en était sûr, du moins, il se persuadait que Kane avait autant besoin de lui qu’il n’avait besoin de Kane. Ils n’étaient qu’un et ne resteront qu’un. Cette possessivité maladive fit extrêmement souffrir Aidan, surtout lorsque Kane commençait à le faire sortir, quand les filles commençaient à lui tourner autour sous ses yeux meurtriers. Il sut tout de même contrôler cette colère qui le hantait, comme il l’avait toujours fait. Kane était à lui et il appartenait à Kane. Aucune de ces pucelles n’auraient pu les séparer. Mais il avait tout de même peur que son frère se désintéresse de lui alors il s’offrait toujours un peu plus, corps et âme, au plus fort. Kane ne voulait que ça, que son frère soit sa propriété alors il jubilait encore et toujours lorsque sa moitié se dévoilait à lui, en en faisant presque un jeu. Aidan était naïf et disait Amen à tout ce que pouvait bien faire Kane. Même les marques rosies sur ses bras que Kane avait pris l’habitude de laisser sur sa peau laiteuse ne l’affolaient plus. On dit que l’amour rend aveugle mais l’amour rendait Aidan totalement fou. Ce n’est pas qu’il ne comprenait pas ce que les gens disaient, c’est qu’il voulait comprendre simplement ce que son frère pouvait dire. Il buvait ses paroles et suivait ses traces. Comme ce jour, alors qu’ils avaient tout juste seize ans, où le proviseur vint les chercher dans leur classe. Tous les regards se tournèrent vers les jumeaux et un malaise se fit sentir dans son corps frêle. Il leva les yeux vers son frère qui s’était levé et se sentit rassuré au moment où le bras de Kane l’entoura. Ce dernier l’avait toujours dominé, dans n’importe quelle situation. C’est pour cela qu’Aidan ne fit que le suivre jusque la pièce redoutée de tous, le bureau du principal. Aidan regardait autour de lui, chaque détail des quatre murs qui les entouraient. A défaut de parler peu, il avait développé une très grande mémoire visuelle et auditive. Il n’avait qu’à se concentrer un peu sur quelque chose et il s’en rappelait encore les mois suivants. Lorsque le mot « mort » sortit de la bouche du vieillard, Aidan tourna la tête vers son frère, celui-ci le prenant dans une étreinte qui lui en coupa la respiration. Il ne sentait plus rien, la phrase dite précédemment lui tournant en boucle dans la tête. Ses parents étaient morts dans un tsunami alors qu’ils étaient encore en voyage pour ces gens sans intérêt. C’était comme un poids qui se retira de sa poitrine, il allait pouvoir vivre librement aux côtés de son double lorsqu’on lui apprit que leurs géniteurs avaient fait marquer dans leur testament que les garçons ne devaient être séparés et devaient vivre sous tutelle jusqu’à ce qu’ils aient vingt-et-un ans. Lorsque cette heure fut sonnée, Kane jubilait de leur liberté totale, Aidan avait l’impression que son frère se détachait de lui, qu’il voulait encore plus. Cela le faisait horriblement souffrir, chaque soir, lorsque son frère partait dans ses débauches, lui, restait seul. Il n’y avait que dans ces moments qu’Aidan pouvait extirper son malheur. Il pleurait à s’en faire suffoquer. Il n’était plus rien quand son frère n’était pas dans les parages. C’est alors à cette période qu’il arrêta de manger, les pleurs remplacèrent l’appétit. Il voyait son identique profiter de sa vie, se servant encore de lui. Il maigrissait à vue d’œil, il se détestait encore plus. Il essayait d’attirer le regard de Kane en allant se faire vomir pour toujours plus maigrir jusqu’au jour où une porte s’ouvra devant ses yeux. Une porte qui le mènerait à la libération de cette obsession tellement oppressante pour un seul homme. Il découvrit la photographie et commença à s’en intéresser.  C’est alors au moment où Kane s’aperçut qu’Aidan prenait à cœur autre chose que sa personne qu’il décida de prendre les choses en mains. Il trouva du travail dans un bar et paya les études de son frère pour toujours l’avoir sous le coude. Il refusait catégoriquement qu’Aidan travaille et gagne sa vie de lui-même. Ce dernier se rappela à nouveau les paroles de son frère « Ne me quitte pas Aidan. Jamais. », De cette promesse qu’il lui avait faite « Jamais. Je te le promets Kane.»