CRÉDIT - CSS

♪

Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise
vos épaules et vous penche vers la terre,
il faut vous enivrer sans trêve.

Mais de quoi ?
De vin, de poésie, ou de vertu
à votre guise, mais enivrez-vous !  

Entre mes doigts, un petit carton d’invitation à la fête du duc Dalecarlia. Sur la table, un verre à moitié vide contenant un liquide mordoré. Dans ma tête, un sacré dilemme. Ma première impulsion est de refuser de me rendre là-bas. Rencontrer la populace qui m’a condamné ne me met pas en joie avouons-le. Je préfère largement m’enfermer dans le petit studio récemment loué et rattraper le temps perdu avec Boann. Cependant, sortir un peu ne peut pas nous faire de mal…

La veille de cette fameuse soirée, mon compagnon s'avère introuvable. Je défais ma cravate rageusement. Il s’est envolé sans dire un mot et l’heure tourne affreusement. A-t-il honte qu’on nous voit ensemble ? Cette pensée me blesse plus que je ne veux l’admettre. De toute façon, je ne voulais pas y aller. L’air boudeur, je m’allume maladroitement une cigarette afin de détendre mes nerfs à vif. Finalement, je me décide à faire un tour à cette foutue soirée.

Je montre patte blanche à l’entrée et m’empare rapidement d’un verre, deux, puis trois. Le champagne me donne un peu le tournis et des danseurs survoltés qui passent en me bousculant n’arrangent pas mon affaire. Tout ce faste me donne envie de vomir. Ou alors est-ce la demi-bouteille de vin que je me suis enfilé en un laps de temps particulièrement court ? Je n’ai d’ailleurs plus aucune notion d’espace-temps. Je vis bien en-dehors de moi-même. La musique effrénée me catapulte dans un univers féérique.

Une main de femme caresse paresseusement mon dos. Je desserre le col de ma chemise. La chaleur est insupportable et en même temps, je me sens comme invincible. L’inconnue m’embrasse la joue, laissant une trace de rouge à lèvres. Son désir m’accapare et m’embrouille l’esprit déjà embrumé. J’arrive à me défaire de l’entrave de ses bras et me réfugie dans les jardins où des couples se caressent à l’ombre des hautes haies de buis taillées dans des formes improbables.

Une ombre devant mes yeux passe. Je frissonne dans cette obscurité ambiante. Je crois apercevoir une silhouette familière. Je me hasarde sans savoir très bien ce que mon corps compte faire. Ce dernier trébuche et s’écroule dans l’herbe fraîchement coupée.

« Boann… »

Je murmure dans la nuit pleine de bruissements inquiétants.    

CRÉDIT - CSS

♪

I'm waking up to ash and dust
I wipe my brow and I sweat my rust
I'm breathing in the chemicals
 

La peur m'avait dévorée. Elle mâchouillait fébrilement mes doigts qui jouaient de cette invitation à la fête du duc Dalecarlia sur mon bout de comptoir. Je ne savais même plus depuis combien d'heure j'étais là. Peut-être depuis la veille ? Ce moment où j'avais pris peur en essayant ce costume que Jeremias m'avait acheté. Je pensais pourtant que cela me rendrait heureux d'y aller à son bras. Mais, à quelques heures de ce moment, j'avais été attaqué par l'angoisse de ne pas être à la hauteur. Est-ce que j'avais la repartie et la prestance pour appartenir à son monde ? N'étais-je pas mieux dans l'ombre de sa couche ?

Je frissonnais alors que les heures défilaient et que la main de se soiffard à ma gauche s'invitait toujours plus haut sur ma cuisse. Est-ce que l'alcool me fit perdre la raison ? Car, quelques secondes plus tard, j'étais collé contre le mur de ces toilettes crasseuses. Ma bouche se cimentant à celle de mon voisin. Je laissais même sa main s'aventurer sous ma chemise, laissant sa trace acre et odorante alors que j'arrivais à me dégager avant le pire. Fuite en avant. Porte de voiture qui claque. Ronronnement du moteur. J'arrivais presque à l'heure. Lieu magnifique et enchanteur.

Je dessaoulais presque aussitôt. Mon visage s'allumant comme les petites lampes dans les bosquets. Je resserre le col de ma chemise et mon menton vient caresser le ciel de cette nuit magique. Je cherche méticuleusement Jeremias. Je trouve à la place une femme au loin qui vient colorer sa joue de sa marque carmin. Je refuse le verre de champagne qu'on me tend. Mon visage se tend comme les cordes des violoncelles qui entament une douce mélopée qui calme en rien mes humeurs sanglantes.

Je le poursuis. Je cours après son ombre dans les hautes haies finement taillées. Je repousse la vision de ces corps qui se découvrent à demi-mot, leurs mains oubliant leurs verres qui viennent arroser leurs jambes qui s’entremêlent comme la végétation qui nous entoure. Je le vois trébucher dans l'herbe. Je saute devant lui, mouille mon pouce et vient chasser cette trace d'un échange que je ne peux oublier.

« C'est quoi ça ? »

Ma voix tente de garder son calme alors que je lui affiche avec fièvre la preuve impardonnable de sa tromperie.

CRÉDIT - CSS

♪

Je ne sais pas, je ne crois plus en rien. Le corps en apesanteur. L’alcool me propulse dans mes délires métaphysiques. L’être ou le néant. Je vis par procuration. De l’extase en intraveineuse. Le battement de tambour d’un cœur au ralenti. J’écoute le vide désespérément, le vide de ma petite existence. Je laisse échapper un râle, ivre mort de rire. La relativité du temps me rattrape. Il se passe un quart d’heure en trois minutes. Mes oreilles bourdonnent encore de leur musique du Diable.

La sensation de flottement s’estompe cependant qu’une voix par trop familière résonne dans ma tête et me relève aussitôt. L’aurais-je invoqué ? Le rouge sur son doigt me désoriente. Je reste assis dans l’herbe comme le bel idiot que je suis.

« C’est rien. Une femme s’est jetée sur moi. Je suis parti. »

Je ne trouve rien d’autre à ajouter. Pour moi, c’est déjà oublié. Je me frotte la joue avec énervement pour chasser les dernières traces fautives.

« T'étais où bon sang ? »

Le ton est mi-agacé par l’abandon du jeune homme, mi-soulagé de le revoir. Difficile à dire. Je me lève, patraque. Je serre mon garçon avec maladresse. Je viens inhaler le parfum du bien-aimé dans son cou. Mais il est introuvable. D’un bond, je m’écarte.

« Tu t’es bien amusé de ton côté on dirait…c’était bien ? »

Je le transperce de mes pupilles dépitées. L’odeur d’un autre l’imprègne. L’after-shave ou le déodorant d’un mâle inconnu. Je me mords la lèvre au sang pour ne pas montrer mes états d’âme bouleversés. Rester debout, ne pas baisser les yeux.

Je repousse ses attentes insatiables depuis trop longtemps. C’est ma faute. Je ne suis pas en mesure de satisfaire le désir fiévreux d’un garçon de vingt-deux ans. Je ne veux pas d’une relation banale qui finit en coucherie même si son corps est un appel immédiat à la luxure.

Je ne suis même pas capable de lui en vouloir.

CRÉDIT - CSS

♪

J'observe ce rouge qui colore mon pouce. Il devient l'embrasement de ce qui a toujours nourri mes peurs les plus profondes. Deux décennies nous séparent. Le spectre de ne pas lui apporter ce qui lui est nécessaire me cloue maintenant dans l'herbe parfaitement taillée. Les haies nous assaillent, mais c'est ma propre jalousie qui me fait captif. Les échos de la fête parviennent toujours à mes oreilles, mais mon regard le poignarde toujours dans sa positions assise.

« Elle était belle ? Tu as eu envie d'elle ? C'est ce qui te manque tant à présent et que je ne peux pas te donner ? »

Ma voix est à peine mesurée. Il connaît ma franchise acerbe. L'alcool ne m'a donné aucun courage. Elle n'a fait qu'amplifier mes inquiétudes de le sentir s'éloigner. Cependant, ces bras autour de moi me redonne confiance. Je le serre prêt à tout oublier. Mais, mes propres péchés sont couchés contre ma peau. J'ai laissé un autre mâle mettre son odeur sur moi. J'essaye de marcher vers celui qui me fuit.

« C'est pas ce que tu crois...J'étais saoul et perdu...Mais je n'ai pas couché avec lui. »

Mon corps s'arrête avec l'orchestre que nous pouvions entendre au loin. Je lui cache ces baisers et ces caresses, mais celui que j'aime n'est pas dupe. Mes mensonges viennent mourir comme les quelques feux d'artifices qui viennent se perdre au fond de mes pupilles incertaines. Je ne sais comment lui dire que j'ai besoin de son corps et de sa chaleur. Que notre histoire n'est pas une vulgaire histoire de coucherie, mais que sa façon de me repousser me terrifie.

J'arrive enfin à poser une main sur son épaule. Je le pousse légèrement dans la végétation. Nous devenons plus que des ombres. Je ne fais plus qu'un avec son torse et son bassin.

« Pourquoi tu ne me fais plus l'amour ? Dis-moi la vérité, je peux tout entendre...»

J’enfouis mon visage dans son col de chemise et frôle de mon nez sa nuque. Je ne demande que sa franchise...c'est tout.

CRÉDIT - CSS

♪

J’ai aimé une femme autrefois. Mais plus jamais ça. J’attire la gent féminine alors qu’elle me laisse indifférent, les embrassades sont tel du givre sur mon visage fermé. Il n’y a plus de chaleur ni de caresses possibles, une barrière s’est formée et celle-ci porte le doux nom de Boann.

« Elle avait l’air d’une catin ravagée par les couleurs du temps. Je m’en fous de toute façon, je n’ai pas besoin d’elle… »

Non je n’ai pas envie d’elle mais de toi. Tout mon être hurle d’un désir à l’agonie. C’est dans ces moments-là, où tout semble partir en cacahuète, qu’on souhaite le plus au monde sentir les bras de quelqu’un, baiser sa bouche, se perdre dans l’accomplissement charnel et bestial qui fait de nous de misérables hommes écervelés. Fou, fou, fou de toi te dis-je.

Sa voix penaude me rassure. Coupable oui, condamnable, certainement pas. Je lui pardonne aussitôt. Nous en resterons là. Je sais ce qu’il veut, pourtant, je ne lui offre pas le grand amour. Qu’est-ce qui m’empêche de l’aimer comme il faut bon sang ? Je me sauve, m’éloignant de ses prunelles qui me demandent des explications. Toutefois, je ne peux pas échapper à ses contacts d’une douceur qui m’afflige.

« Je ne veux pas que tu crois que je t’aime seulement pour… »

Toutes ces peurs au fond de moi me harcèlent. A nouveau les conventions sociales. Difficile de nous afficher en public, difficile de ne pas penser qu’il ne s’agit là que d’une histoire de sexe. Je refoule toutes ces pensées parasites.

Je n’ai besoin que de tendresse à présent. La passion est éphémère et je veux de la pérennité. Le désœuvrement peint mes traits fatigués. Je tente l’ébauche d’un sourire, celui que je lui réserve en temps de paix.

Je t'aime trop.

Pour moi, « trop » n’est pas excessif ou connoté négativement. C’est ma marque de fabrique ce trop besoin, ce trop d’amour. Je cherche ses lèvres dans le noir, les effleurant aussi vivement qu’un baiser volé par le vent. Mes mains passent sous son chandail. Je rapproche nos corps brisés par les vicissitudes de la vie.

« Laisse-moi t’aimer. »

Le murmure de celui qui n’en peut plus d’attendre.

CRÉDIT - CSS

♪

Je plonge dans ces billes embués par les effluves de mère ivresse. J'abandonne aussitôt mon envolée vindicative. Il a ce pouvoir sur moi, depuis le premier jour ou il m'a tenu contre lui, de faire s'envoler mes peurs. Je m'ouvre à nouveau comme les œillets de jasmin perdus autour lui. Cette femme. Ce baiser. Tout se dispersent aux quatre vents. Tant que nous sommes ensemble. Indivisible.

Ma chaleur appelle la sienne, mais alors que je cherchais désespérément la réponse à ce feu ardant qui me mordait. Je me perds dans son âme, tel l'enfant qui aime s'aventurer dans les abîmes les plus sombres pour se faire peur. Je m'accroche à ces morceaux de vies brisés. Ce besoin qu'il quémande sans oser y poser des mots.

As-tu peur de me blesser, mon amour ?

« Je te laisserais m'aimer jusqu'à la fin...jusqu'à ma dernière étincelle de vie.»

Mes mains comme la sienne glissent sous son blazer. Je ressens toute la lourdeur de cette vie sur ces épaules. J'entends toute la stupidité de mon acte et de mon égoïsme. Je l'enserre et je lui tends cette tendresse que j'offre en pâture à ses lèvres.

« Pardon... Pardon pour tout...»

Mes mains serpentent jusqu'à sa nuque et alors que cette fête disparaît de mon esprit. Je masse sa nuque avant d'offrir mon épaule pour poser sa tête. Je le fais car il a besoin de moi. Il a besoin de réconfort et de ma tendresse. Je n'ai pas été à son écoute, trop enfantin et pas assez Homme. Mais, ce soir, je veux être ton rempart.


Repose toi sur moi mon ange bleu.

CRÉDIT - CSS

♪

Burn burn burn my lover
I want you to want me

Je perds pied dans cet étourdissement phénoménal. Son regard me possède entièrement. Tout me porte vers lui. Je l’étreins à m’en faire mal. J’invite ses mains à glisser sous mes vêtements précipitamment comme si le temps nous était compté. Nos dents s’entrechoquent, désarmées par des brûlures humides initiées par mes lèvres désemparées. Sa tendresse rassure l’enfant que je suis. Mais il y a aussi toutes ces pulsions qu’un homme mûr ne peut guère consigner au placard.

Je me laisse aller, trouvant le chemin de son cœur. Il est si fort d’une jeunesse invincible. Sa vitalité engendre la mienne. L’air de la nuit nous enveloppe, favorable aux ardeurs du présent. Je perds toute contenance, toute sagesse bien rangée. Je libère ce fou bridé par mes éternels cas de conscience et dilemmes moraux.

Je m’arrête seulement pour reprendre ma respiration et l’observer, lui. Il n’est plus le jeunot que j’ai recueilli. C’est un homme maintenant. C’est lui que j’ai choisi et qui débauche ma respiration erratique.

La fête bat son plein au loin. Ce n’est plus qu’un souvenir féérique, une bonne vieille mascarade rapidement éjectée de mes pensées. Je me perds dans mon vice. Le temps est un démon. Mais voilà que j’entends des pas qui approchent. Vite nous dissimuler dans l’ombre. Trop tard. Je me détache à regret de Boann que je pousse légèrement dans notre refuge végétal.

La silhouette de l’homme que j’aperçois en ombre chinoise m’est par trop familière. C’est un homme avec qui j’ai eu affaire par le passé. J’étais son traiteur attitré pour ses grandes réceptions annuelles. Je ne peux pas le snober ainsi. Je peste intérieurement, que faire ? Je viens au devant de lui pour le saluer. Son sourire flambant neuf, puant l’argent de la haute me répond. Je prie pour qu’il ne me retienne pas. L’odeur de mon bien-aimé me manque déjà. Et ses lèvres sucrées…je perds le fil de la conversation.

Quelle fête splendide – Vous êtes accompagné ? – Je m’amuse comme un fou – Vous devriez venir et blablabla. Je m’impatiente. Sa dernière question cependant manque de me provoquer un infarctus.

« Qui est-ce ? »

Mon cher monsieur se tourne vers Boann, mon Boann.

CRÉDIT - CSS

♪

Je m'efface entre la jungle de ses bras. Mes mains se font tentatrices. J'ai appris à aimer cet homme qui m'avait recueilli. Cependant, j'avais appris aussi à réveiller l'homme mûr et ces envies les plus débridés. La sagesse ne fait plus partie de mes impulsions. Mon corps est prêt à s'ébraser pour lui. Ici, contre cette haie ou à même le sol. Mes doigts courent sur sa peau et mon souffle devient cascade contre son torse. Ce torse que je vénère de part chacune de mes respirations qui portent son prénom. Je voudrais que ce moment ne s'arrête jamais. Toutefois, je sens à regret Jeremias se détacher de moi et je suis prêt à crier mon désarroi pour le rappeler à moi.

Cependant, caché dans cette végétation où il m'a poussé. J'ai tout le loisir de découvrir que nous ne sommes pas seuls. La silhouette de cet homme que je ne connais pas vient saluer mon ange bleu, mon astre incandescent. Je pourrais lui en vouloir, mais je lui en remercie pour l'instant. Mon impudeur mort mon entre-cuisse. La petite brise emportée par cette fête va calmer mes ardeurs de jeune louveteau affamé. Je les observe discuter et je n'aime clairement pas son ton et ses manières. Et, quand il me force à sortir de l'ombre par sa question, je déglutie et mon cœur frappe en son centre.

« Boan Carlson. Enchanté. J'accompagne Jeremias. »

Je lui tends une main que j'ai préparé virile et assurée. Je souris de toute mes dents pour rendre fier l'homme qui m'a emmené à ses cotées ce soir.  Cependant, voir mon visage semble lui rappeler exactement les rumeurs de cette ville. Il ne lève même pas sa main pour rencontrer la mienne. Il reste immobile, jouant avec son verre comme il va bientôt le faire avec ses mots.

« Ah, bah mon salaud. Je voulais pas y croire, mais je vois que c'était vrai alors. Il n'est pas un peu tard pour son âge, pour ce petit gars là ? Peut-être qu'il y a la nourrice dans un coin, non ? »

Il me toise et me moque. Monsieur crache son venin, mais je ne bouge pas. J'offre ce sourire forcé pour ne pas sombrer. Il est hors de question de faire un scandale. Voici, ma dernière épreuve, celle qui pourra prouver à Jeremias que je suis digne de lui. Monsieur s'amuse et se gargarise.

« En tout cas, c'est toi qui a raison, pourquoi s'ennuyer. Autant, s'envoyer en l'air avec de la chair fraiche. Et, après, ce qui est bien, tu jettes. Si tu veux mon expérience mon ami, ne les garde pas plus que quelques mois. Une fois, les avoir retournés dans toutes les pièces chez toi, rejette les à la mer. Ils se recyclent très bien tout seul.»

CRÉDIT - CSS

♪

Someone to fight for

L’air dans mes poumons commence à manquer. Mon air déconfit doit en dire long sur mes états d’âme. Le mec m’enfonce et m’humilie. Il nous humilie tous les deux. L’affront fait taire le belliqueux Jeremias. Pourtant, je peux sentir le baiser de la colère brûler chacune de mes cellules. Les morsures du passé refont leur apparition, mettant à nu des pulsions primitives. Je n’ai pas tout à fait enterré l’homme que j’ai été, le prédateur, celui que son père emmenait chasser en pleine nuit dans le vent froid de l’hiver.

Je me rappelle chaque geste, chaque réflexe. Le Mal ancestral reprend ses droits. Rien de bien ne peut advenir désormais. Les insultes renforcent cette terrible envie de meurtre qui court le long de mes doigts. Le mépris qu’il me crache en pleine gueule m’abîme un peu plus dans l’ignominie.

Qu’est-ce qui m’en empêche ?

Boann.

Frapper à mort un innocent condamnable, et puis le retour à la case départ, la case prison du Monopoly ? Un aller simple vers le mouroir. Je ne peux pas laisser un sale type nous maltraiter psychologiquement. Son sourire railleur ne m’intimide plus.

« Vous êtes ivre, vous devriez partir. »

La menace est sous-jacente.

« On commençait à peine à s’amuser ! Allons. On pourrait s’y mettre à deux pour... »

Son regard s’attarde sur mon garçon. Ma main empoigne le col de sa chemise en un temps record.

« La fête est finie, dégagez. »

Je le repousse violemment en arrière. Son poing toutefois vient me chercher et rencontre mon visage. Ma lèvre saigne. Le goût cuivré réveille la Bête. Je me jette sur l’insolent. Nous roulons au sol.

Retenez-moi de le tuer, Seigneur.

CRÉDIT - CSS

♪

Je baisse les yeux, c'est la seule approche que je trouve pour faire s'écouler cette tension qui monte en moi et qui me fait serrer les poings. Je veux le mordre au visage, arracher ce sourire qui nous poignarde. Cette ivresse au bord de ses lèvres l'amuse. Il ne semble pas vouloir s'arrêter même avec les menaces de Jeremias à mes cotées. Cette main qui attrape son col si rapide me fait m'inquiéter. Mon sang appelle le sien comme pour l'empêcher de faire l'impensable.  

Mais notre démon s'en amuse et nous gausse.

« Allez, arrête, Jeremias. Je suis certain qu'on peut très bien tenir à deux dans son petit ...»

Mais, il le repousse en arrière et la violence plus violent qu'un éclair. Il le frappe au visage et je pousse un cri. Ils roulent au sol et la foule se presse autour de nous. L'homme frappe de toutes ses forces comme un fauve acculé, forçant deux hommes de la sécurité à la séparer. La foule tout autour de nous me repousse et je le vois s'éloigner contre mon grès de l'homme que j'aime. Je l'appelle, mais il ne peut m'entendre. Une trentaine de corps me dissimulent.

Je regarde un homme de la sécurité conduire Jeremias hors des jardins. Il est hors de question que je me taise une deuxième fois. Je vais le rejoindre et j'arrête l'homme tout de noir, mon cœur haletant d'avoir couru.  

« Il n'a rien fait. Lâchez-le ! C'est l'homme là-bas qui nous a insulté et qui l'a frappé en premier. »

Mon doigt est accusateur, mais toute ma force est concentrée à libérer Jeremias. Je desserre l'emprise que l'épaisse masse avait sur lui. Je blottis contre lui. Si c'est nous contre le monde entier...

Alors, qu'il en soit ainsi.

CRÉDIT - CSS

♪

Somebody to love
Our story is not a fairytale, it's a fairy-fake

La cohue. L’illusion d’une victoire. Des coups mal placés. Je morfle. Il pleut sur moi poings, jambes et sauvagerie. Cependant, je ne suis pas en reste. Des bras me soulèvent de force. Ils nous séparent malgré l’agressivité qui nous habite et qui leur donne du fil à retordre pour nous maîtriser. J’ai envie de cracher sur ce vaurien, ce sale cabot immonde. Les deux bulldozers me tiennent fermement. Je me laisse faire, épuisé par cette bataille. Ils m’éloignent de la foule et de mon bien-aimé. Je les engueule. « Laissez-moi, c’est ce salopard qui…etc. ». Je n’ai pas mon mot à dire, je la boucle donc. Une épée de Damoclès est au-dessus de ma tête. Je n’ai pas le droit à l’erreur. Je n’ai pas le droit d’être enfermé à nouveau par ces brutes épaisses et mère Injustice.

Les cris de Boann fusent. Il se fraye un passage jusqu’à moi. Je le réceptionne sans le moindre effort, comme si nos corps étaient faits pour se retrouver. Certains ricanent, d’autres affichent une mine de dédain. La foule finit par se disperser : il n’y a plus rien à voir. La sécurité décide de notre sort : « partez et vous n’aurez pas d’ennuis, nous allons discuter avec ce monsieur… » J’opine du chef, trop heureux de ne pas avoir affaire à l’Autorité qui est loin de me porter dans son cœur. Je soupire de soulagement et serre fort mon petit garçon. Non, cet homme qui est venu me défendre envers et contre tous. Le seul qui m’ait aimé.

J’inspecte les dégâts. Mon front saigne, ma lèvre, mon nez, j’ai quelques méchants bleus, mais rien de cassé. Je fixe mes mains, dépossédé et soudain ravagé par un inexplicable mutisme. Ces mains qui ont voulu tuer. Je les hais. Qu’as-tu fait de moi, Papa ? J’ai failli étouffer un homme de sang-froid.

« Je suis désolé. Quel pitoyable spectacle. »

Désolé d’être un psychopathe qui s’ignore.

« Je ferais mieux de me livrer à la police. Je suis…un monstre. Je voulais vraiment le massacrer… »

J’enfouis mon visage dans son col, j’épanche ma souffrance contre son torse immobile. Je souille ses vêtements du sang versé, sacrifié pour lui seul. Nous glissons sur l’herbe vierge. Je ne peux pas me sauver tout seul. Je lui signifie mon besoin de lui, de la douceur de ses bras. Encore. Jusqu'à ce que l'éternité s'altère. Jusqu'à ce que les nuits disparaissent. Jusqu'à ce que nous ne soyons plus capables de nous étreindre ainsi, tant nous serions figés dans ce même effort, à jamais les amants perdus dans leur Eden illusoire.

« Je l’ai fait pour toi. »

Mes murmures sont étouffés. Je me calfeutre contre sa chaleur bienfaitrice. Je l’aimer à en crever.

Et maintenant, va-t-il m’aimer ou me haïr ?