Certains le trouvent intrigant.
D’autres l’estiment trop mystérieux pour être honnête.
D’autres encore le pensent incroyable.

Vous, vous ne savez quoi en penser, de ce Duc, de cet homme. En fait, c’était à peine si vous vous intéressiez à lui. Pour vous, il n’était qu’un homme comme les autres, un noble comme les autres, qui se la jouait ténébreux mais qui, finalement, n’était rien de plus qu’un humain qui se couvrait d’or, et qui avait ce château à son image. De l’or, de l’or partout, épousé par le soleil et sans doute par la lune. Jolie demeure, certes. Il fut un temps où vous aviez quelque chose de semblable, sans doute. Mais vous ne vous en souveniez plus très bien… Peu importe.

Toujours était-il que si vous n’aviez pas une bonne raison de venir, vous ne seriez pas venue. L’idée était d’initier Viola à la vie mondaine, c’était du moins ce que Vita désirait. Quel ennui ! Ce n’était donc certainement pas pour restaurer le prestige des Lehtonen en quémandant des faveurs du Duc Dalecarlia. Non, vous étiez bien trop fière pour cela ! Dépendre de quelqu’un signifiait s’y soumettre, et c’était hors de question pour vous. Surtout à un homme qui n’ouvrait ses portes qu’un jour par an et ce pour accueillir n’importe qui.

Ce fut donc sans grande conviction que vous entrâtes dans le somptueux manoir du Duc, accompagnée de votre… fille. Vous aviez néanmoins fait un effort : habillée d’une longue robe de soirée en velours noir, de longs gants de la même couleur et d’une cape de fausse fourrure des plus élégantes. Vos talons hauts claquaient dans un bruit sec le sol miroitant, c’était à peine si vous pouviez vous regarder dedans afin de voir si votre maquillage impeccable n’avait point coulé, ou si votre coiffure sophistiquée et piquée de fleurs n’était point gâchée par quelques mèches rebelles. Vous balayâtes du regard le hall d’entrée, donnant à un domestique votre cape sans un regard ni un sourire. De vos lippes peintes d’un délicat rouge vermeil, s’échappèrent deux mots :

« Pas mal. »

Ce qui, de votre part, était déjà assez mélioratif. Du moins, pour vous, Madame.

Spoiler:

Il est beau, ce hall. Et il est grand surtout. Viola est ébahie, et si sa grand-mère ne lui avait pas appris les bonnes manières à coup de règles sur les doigts et de séances de portage de livres sur la tête avec des hauts talons aiguilles pour se tenir droite, elle en aurait ouvert la bouche comme un poisson rouge cherchant son air. Cet or, ces matériaux raffinés... Viola s'y voit bien, dans ce château, à se vautrer dans tout ce luxe. « Pas mal. » clame sa mère à côté d'elle, d'une voix neutre. Elle n'est pas comme elle, Katriina. Elle, elle cache ses émotions. Et elle les cache tellement bien que des fois, sa fille se demande si elle en a, justement, des émotions. Viola sort son carnet qui ne la quitte jamais de son petit sac, puis inscrit sur une nouvelle page ces quelques mots « Ça change de ce que l'on a l'habitude de voir, tout de même. » avant de ranger son carnet dans son sac. Sa mère a toujours eu le don de la faire déchanter, avec son attitude de glaçon qui ne s'étonne et ne s’émut devant rien.

Spoiler:

D’un mouvement, vous vous tournâtes vers Viola, l’entendant griffonner sur son carnet. Étrange habitude. Au moins, elle ne gaspillait pas sa salive pour rien et c’était louable, il fallait bien l’avouer. Une rare qualité que de ne savoir parler seulement quand c’était nécessaire. Après avoir lu ce qu’elle avait écrit, vous dîtes simplement :

« Il est vrai que tu n’as pas connu l’époque où nous pouvions égaler ce Duc. Cependant, essaie de ne pas montrer ton étonnement, ton admiration ou quoi que ce soit du même genre. Peut-être que ce Duc étale sa puissance pour un soir seulement pour le plaisir de nous impressionner. »

Un soupir s’échappa de votre bouche. Vous étiez à peu près sûre que son but était d’impressionner les autres, pour avoir ainsi le sentiment de leur être supérieur. N’était-ce pas le dessein caché de tout noble ? Vous ne voyiez rien d’autre derrière tout cet or, tous ces oripeaux, toute cette explosion de richesses. Allez, venez donc, venez tous ! Venez profiter de mes richesses. Venez voir ce que vous ne pourrez voir qu’un soir, tandis que moi, j’en use et abuse tous les jours.

Mais vous, vous n’aviez aucune envie de marcher dans son petit jeu. Vous vous contentiez d’avancer, simplement, lançant quelques œillades désintéressées çà et là, et vous désiriez que Viola fasse de même.

Vous soupirez. Elle est gentille, Viola. Un peu naïve peut-être. Si pure à côté de vous, qui êtes avez déjà basculé du côté obscur. Pauvre fille. Pauvre d’elle. Vous ne la méritez pas, Madame. C’est elle, finalement, qui mérite la fortune des Lehtonen, qui mérite de vivre dans une demeure telle que celle-ci. Vous imaginez bien qu’elle n’est pas toute blanche, mais vous savez, au fond de vous-même, qu’elle l’est bien plus que vous. C’est finalement une bonne chose que de la garder éloignée, n’est-ce pas ? Vous regardez les mots se créer petit à petit, puis vous haussez les épaules. Elle est gentille, Viola. Elle a de bonnes intentions, on dirait. Elle ne voit pas ce jeu de masques que vous avez appris à reconnaître. Vita ne lui avait-elle donc rien appris ?

« Peut-être. De toute manière, pour une raison ou pour une autre, les gens fortunés aiment montrer leurs richesses. Autrefois, les rois le faisaient pour asseoir leur supériorité sur leurs courtisans. »

Vous regardez autour de vous. Pas trace du maître de maison ; mais comment le reconnaître, puisque a priori personne ne le connaissait ? Il était bien étrange, ce roitelet d’une nuit. Vous vous demandiez pourquoi il avait invité tout le monde. N’importe qui. Par caprice ? Par provocation ?

« Enfin bon. S’il nous a tous réunis ici sous son toit, c’est sans doute pour profiter des délices de son quotidien pour une nuit. N’est-ce pas une délicate attention ? » fîtes-vous d’un ton ironique en avançant lentement vers les escaliers.