Un pied qui tape au rythme de la contrebasse lointaine, un écran de fumée qui s'envole vers le plafond, un verre de Sky on the rocks dans une main, une cigarette embrasée dans l'autre. Leevi se prélassait avec bien-être dans l'un des canapés du salon. Sourire aux lèvres, il observait à sa guise les gens aller et venir. Peuples de tous horizons et de toutes classes, gratins de la politique locale et chefs de gangs. Que de diversité ce soir, les enfants ! Tirant sur le filtre de sa cigarette, qu'il coinça entre ses lèvres, le barman posa son verre et tira l'invitation du Duc de la poche de son costard rayé. Il la tourna et la retourna entre ses longs doigts tordus avant d'écraser son mégot dans le cendrier et de lever les yeux au dessus du carton, avisant une silhouette connue. Une ombre de sourire aux lèvres, Leevi rangea le carton aux imprimés couteux et s'alluma une nouvelle tige de tabac, interpelant le Sieur Niklas, qui discutait debout avec un couple dans les fauteuils voisins.

▬ Bien le bonsoir Andersson ! Si je puis me permettre, je ne vous pensais pas du genre à vous mêler à ce type de sauterie dégénérée. Je ne vous y avais encore jamais croisé. Mais l'endroit est si vaste, peut-être nous sommes nous tout simplement loupés les autres fois.

Leevi ayant la tendance assez fâcheuse d'aborder ses contemporains sans tenir compte de leurs occupations, il ne remarqua pas le froncement de sourcil et le hoquet offusqués de la dame qu'il venait d'interrompre. Il se posait néanmoins de réelles questions sur la présence de Niklas. Il avait aperçu deux ou trois autres grosses pointures du monde de la Pègre qui, d'ordinaire, déclinaient poliment l'invitation universelle et cette histoire de cartons privés rendait le Dice aussi nerveux que curieux. Aussi avait-il décidé d'associer d'emblée tous les requins de la ville aux invitations mystères. Peut-être que discuter avec Niklas lui en apprendrait un peu plus, et sinon, il aurait toujours le plaisir de la conversation.

Les mondanités ne sont d'ordinaire pas quelque chose que j'apprécie et auxquelles j'ai envie de me mêler. A part celles que j'organise pour les besoins de mon établissement et celles par Aleksi, il est assez rare de me voir en public, avec des gens respectables qui ont honte de parler de leurs penchants et de leurs péchés. Alors pourquoi donc suis-je ici ? Parce que les soirées du Duc sont tellement différentes de celles des gens ordinaires du reste de la ville...C'est surprenant et incroyable ce que l'on peut voir là-bas. Et puis, il y a cette histoire d'invitation, encore plus étonnante que tout le reste. Jamais il n'a invité personnellement quelqu'un alors pourquoi...? Je l'ai longtemps regardée, quand je l'ai reçu, pour savoir, pour comprendre, m'interrogeant sur le pourquoi et le comment...Je n'ai eu aucune réponse rien qu'en la regardant sous toutes les coutures. Il faut y aller pour trouver une réponse à mes questions...

Et déjà je me retrouve englué dans des conversations sans intérêt avec des personnes qui ne m'intéressent pas le moins du monde. Des hommes arrogants, des femmes se croyant belles...Des gens avec qui converser m'agaçait beaucoup au final. Mais tant pis, je suis venu ici, il faut maintenant que je me force à rester là et à faire semblant. Mais je fais mal semblant ce soir, je dois bien l'avouer. Sans sourire, sans écouter véritablement, je donne des réponses évasives en buvant un gin tonic. Errant un peu, je vais de ci de là, jusqu'à aller à un couple qui semble un tant soit peu intéressant. Enfin, intéressant est un bien grand mot, disons qu'ils ne semblent pas aussi mornes que les autres et cela me suffit. La conversation dérive et se passe, j'aime ça pour une fois c'est presque agréable. Mais nous venons vite à être dérangé, comme c'est souvent le cas dans ce genre de mondanités, les gens semblent croire qu'ils peuvent venir vous parler alors même qu'ils coupent une autre personne. La dame semble courroucée, même un peu plus cela, elle n'a pas l'air d'apprécier. Cela aurait pu me faire sourire si il n'y avait pas eu cette familiarité déplaisante qui me force à observer en détail l'intrus.

- Je ne crois pas vous connaitre monsieur, je lâche simplement. Les soirées du Duc me comptent pourtant parmi les invités assez souvent. Bien que celle-ci soit différente cette fois il semblerait.

Pour l'instant, personne n'a semblé être invité comme je l'ai été...C'est étrange, j'ai pensé que c'était le cas pour tout le monde. Il n'en est rien apparemment. Mais peut-être cet homme sait-il quelque chose après tout. Je cherche un peu à savoir comment il aurait pu me connaitre, certes on me connait mais bon de là à venir me voir dans ce genre de soirée. Peut-être l'ai-je croisé une fois dans mon établissement sans m'en souvenir, je n'ai pas vraiment la mémoire des visages, sauf certains en particulier...Mais là, peut-être suis-je tombé sur quelque chose d'intéressant peut-être...

Les mondanités sont ces choses tellement futiles et exécrables auxquelles Andrew déteste assister et pourtant, il est convié à la soirée annuelle de ce cher Duc. Hors de question d'y aller. Ces choses-là ne sont bonnes que pour la populace dénuée de tout bon sens - et goût, au passage-, non pas pour un imminent docteur en neurosciences tel que lui. Et pourtant... Cette teigne d'Elinor l'obligeait à y aller. Après maintes années de recherche sur son dysfonctionnement neurochimique, il se demandait encore pourquoi il se sentait obligé d'écouter ses hallucinations. Pour ceux qui se demandent qui est Elinor, il s'agit de son côté civilisé. L'attitude grognon et anti-sociale de Drew étant tellement prononcée, son inconscient a sûrement dû se sentir obligé de créer cette hallucination pour équilibrer les choses - au vu du comportement plus que rustre qu'il avait. Le plus fascinant dans toute cette histoire, c'est que le cerveau est incapable de créer un personnage, que ce soit au niveau physique ou psychologique. Il ne peut créer un visage et est obligé de puiser dans ce qu'il connait déjà. Elinor aurait pu avoir le physique d'une ancienne institutrice ou d'une inconnue et le caractère d'une héroïne tout droit sortie d'un livre. Il commençait déjà à sérieusement regretter d'être venu à cette soirée.

Ce fût paré d'un costume trois pièces sur mesure et tout de noir vêtu qu'il pénétra dans la propriété du Duc. Canne dans sa main droite et invitation dans la gauche, il s'avança dans un salon. Ladite pièce était occupée par des dégénérés des soirées. S’asseyant sur le fauteuil, il commença à se goinfrer de canapés tout en étudiant la foultitude de gens présents dans la pièce. Bourgeois modernes, quelques aristocrates... Tous des excentriques aux allures de péteux. Leur conversations étaient d'un barbant digne d'une hécatombe. Cependant, une des conversation attira son attention. En tout rustre qu'il était, il ne put s'empêcher d'intervenir.

- "Oh, au vu de sa position et de l'enthousiasme dans sa voix, je dirais qu'il vous connaît mais si je me fie à vôtre air déconfit et dubitatif, je pense que ce n'est pas trop votre cas. Cependant, je dirai que ce homme cherche aussi quelque chose. Est-ce que je me trompe, mon bon monsieur ?" le questionna-t-il tout en sortant une pipe toute en ivoire et aux sculptures étranges.

A vrai dire, il n'allait pas du tout la fourrer avec du tabac, mais plutôt de l'opium. Elinor commençait à réapparaître et il souhaitait être seul. Est-ce que cela allait l'aider ? Pas le moins du monde.

- "Et tu penses que je vais partir alors que tu te mets à fumer ? N'as-tu donc rien appris au cours de ces dernières années ?"

- "Ta gueule, El'."

Leevi hocha la tête aux paroles d'Andersson, s'apprêtant à lui répondre, lorsqu'un tiers le devança, cernant la scène en un tour de main. Le barman haussa un sourcil, curieux de cette nouvelle entrée en matière avant de sourire au nouvel interlocuteur, rétorquant avec intérêt aux deux hommes.

▬ Il semblerait en effet, mais la notoriété de Niklas Andersson le devance, voilà tout. Leevi Lennart. Nous avons plusieurs fois fait affaires, vous et moi, mais nous ne nous sommes jamais réellement rencontrés. C'est le problèmes avec les hommes de mains, ils sont pratiques mais empêchent les rencontres civilisées entre gentlemen.

Le Dice leva son verre en guise d'excuse pour son intervention outrancière envers le couple et le vida cul-sec. Un petit remontant semblait de mise. Et puis si les soirées du Duc n'étaient pas un prétexte commode pour faire s'épancher tous les vices humains en une orgie gargantuesque, il voulait bien mettre la clef sous la porte. Son verre vide en main, il fit tanguer les glaçons et reporta son attention sur l'homme à la pipe. Une moue intriguée passa furtivement sur ses traits en remarquant que l'homme en question semblait en proie à un conflit interne le poussant à se répondre lui même mais n'en tint pas compte. Le visage du bonhomme lui semblait familier, impression qu'il connaissait bien, pour le simple fait qu'il obtenait une foule d'informations quotidiennes sur tout un tas de personnes. Les aléas du métier comme on dit.

▬ Votre réputation, à vous en revanche, semble encore à la traîne. Et pourtant, je serais bien capable de vous nommer les noms et prénoms complets des trois quarts de la populace de ce salon, en plus de ceux de leurs aïeux. Cette zone d'ombre qui vous entoure parviendrait presque à me faire oublier mes interrogations précédentes. Car comme vous le dites si bien, je cherche quelque chose, comme tout le monde. Mais j'ai dans l'idée que vous pourrez m'apporter, sinon des réponses, quelques éclaircissements.

La conversation aurait pu être bien plus passionnante, au lieu de cela, un troisième larron vint nous rejoindre, affirmant des choses dont même moi je doutais. Pourquoi donc les petits malins exaspérants se trouvaient si nombreux ici ? La politesse ne semblait étouffer personne dans cette audieuse soirée et je commençais à me dire que je n'aurais jamais du venir ici, invitation ou pas, la compagnie de tous ces gens ne me plaisait pas le moins du monde. Quant aux relations civilisées, ça ne devait pas tellement le déranger de ne pas en avoir à cause des hommes vu comme il prenait les choses avec les êtres qu'il avait en face de lui...Mais qu'à cela ne tienne, avant de m'eclipser je tenais tout de même à jeter un pavé dans la marre, vu que leur conversation était plus que nébuleuse et n'irait sans aucun doute nulle part...Comme si cela pouvait m'intéresser de toute manière.

- Nous cherchons tous quelque chose je pense...Pour certains c'est une animation, pour d'autres une échappatoire...

Pitié, que quelqu'un me donne un moyen de m'échapper de cet endroit...C'était tout ce que je demandais à l'instant présent, pouvoir m'enfuir de ces mondanités plus qu'ennuyeuses à mourir...Je sortis donc l'invitation de la poche intérieur de ma veste, la regardant attentivement...

- Quelqu'un d'autre aurait-il par hasard reçu une invitation à cette fête ? Moi ça me semble curieux en tout cas, assez pour qu'on le mentionne en tout cas. Parce que je ne me rappelle pas que quelqu'un ait déjà été invité aux soirées de notre bon Duc...

La chose était curieuse, c'était pour cette raison que j'étais venu, le reste était un peu intéressant mais pas spécialement au final, rien de plus qu'une soirée. J'avais espéré pouvoir y voir Aleksi mais il ne semblerait pas qu'il soit venu, ou alors pas dans le même coin que moi malheureusement. J'aurais peut-être du venir avec Rokzana au lieu d'y aller seul, j'aurais au moins pu avoir une compagnie agréable avec qui me retirer...Malheureusement, je n'y avais pas pensé...