C'est le grand bond en avant dont nul ne revient nul ne connaît la fin

Et je passe encore une fois devant sa porte, comme pour la voir passer la porte encore une fois, ou voir ses affaires à nouveau à leur place. Mais quand je passe, la porte est toujours grande ouverte, son lit défait, et les armoires grandes ouvertes. Hannah voulait nettoyer les lieux, mais je le lui ai interdit. Paulina va bien finir par rentrer. Je passe donc, jetant un bref regard à l’intérieur, puis continuant mon chemin avec humeur. Elle finira par rentrer, ou alors, je finirais par me faire à son absence, comme je me suis fait à sa présence à l’époque. Ce doit être possible, non ? Je me suis si facilement habitué à elle, son odeur partout dans la maison. Je devrais bien pouvoir m’habituer à ne plus la voir ici. Je vis seul dans cette maison depuis 20 ans, mais son absence m’irrite et me rend de bien pire humeur que d’habitude. Je claque la porte du manoir sans ménagement, et prends la voiture. Niklas ne m’attends pas, ça ne m’empêchera pas de pouvoir débarquer sans le prévenir et d’être accueilli avec un verre de whisky.

Le manoir n’est pas très loin. Un chemin mille fois empruntés des lieux mille fois visités. Ils n’ont plus de secrets pour moi. Une adolescence qui s’est achevée dans ces lieux, et les débuts de l’homme que je suis devenu. Les erreurs et les victoires. Et la demeure du Père. Niklas Andersson. Celui qui s’est substitué à l’image d’un père de toute façon jamais présent et peu intéressé par son propre fils. Assez orgueilleux pour se sentir surpuissant et ne pas voir venir le coup de l’embuscade. Ils n’ont jamais pensé qu’il pourrait leur arriver quelque chose, que leur job risquait un jour de se retourner contre eux deux, égocentriques personnes. Père et mère, et sans avoir jamais compris ce qu’impliquait d’être en charge d’un enfant. Que Niklas me soit tombé dessus a été une chance. J’aurais tout perdu en entrant dans le système des familles d’accueil, je n’aurais pas fini de la sorte certainement. Et si j’étais tombé dans une bonne famille, que serais-je devenu ? Pas cet être froid et intouchable que je suis devenu. Incapable de délicatesse auprès d’une femme. Néanmoins, il n’y en a pas une qui s’est de trop attaché à moi que pour avoir des ennuis. Ah ça, ni même assez détesté que pour en voir une se venger. Excepté Paulina. Mais elle n’a pas besoin de grand-chose pour se venger, je le sens assez bien passer ainsi. Elle a juste quitté la maison, et son absence me rend nerveux. C’est donc sous tension que j’ouvre la porte de cette maison, qui fut la mienne pendant quelques années. Je balance mes clés sur le vestibule, les habitudes ont la vie dure. Puis ainsi, il est prévenu de mon arrivée. Je fais assez confiance à mon instinct pour savoir où le trouver à cette heure, et c’est au salon que je le trouve, debout devant la fenêtre, un cigare et un verre en main. Je soupire, las. « Désolé, j’aurais dû prévenir. » Aucune note dans ma voix ne témoigne d’une quelconque culpabilité à débarquer chez lui sans prévenir. Une pure politesse de ma part. Sous son regard intéressé, je viens me servir un verre de whisky pure malt. Trouve un fauteuil, m’y assoit. Mais je n’ai même pas le temps de prendre une gorgée que je me relève déjà, arpentant les lieux nerveusement. Je ne dis rien, je cherche le calme et la sérénité qui me font tant défaut pour le moment, je les cherche ici dans ce sanctuaire. Ma maison n’est plus un temple, plus depuis qu’il y a une femme qui a investi les lieux. Ce manoir est devenu bien important depuis que je suis marié. Un endroit que Paulina n’a jamais investi, et qu’elle n’investira jamais. Niklas lui fait trop peur. « Rokzana n’est pas là ? » Non, même elle je n’ai pas envie de la voir, je ne suis pas d’humeur à me chamailler en ce jour. Et je connais assez Rokzy pour venir me titiller quand je ne suis pas d’humeur.

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