PSEUDO/PRÉNOM : Sow'. ÂGE : 21. FRÉQUENCE DE CONNEXION : Aussi régulière que possible. COMMENT AS-TU CONNU LE FORUM : Top-site. LE MOT DE LA FIN : EAT THE RUDE.

Là où l’hiver est le plus froid du monde. Tu n’as pas écouté mes plaintes et tu m’as emmené. Ta main de glace m’effrayait, elle ne tolérait aucune protestation. Ton visage fermé m’imposait le silence. J’avais à peine eu le temps d’enfiler un manteau de fourrure. Je grelottais dessous comme un garçon de treize ans.

Mon premier jour de chasse. (Pas question d'être végétarien dans notre famille) C’est la tradition. Tu m’as appris à tuer avec le sang-froid d’un chirurgien. J’ai imité chacun de tes gestes sans en comprendre la finalité. Comme ça et pas autrement. Je t’admirais autant que je te craignais, papa. Exigeant, il fallait que tout soit ordonné et tu attendais de tes enfants qu'ils aient la même droiture voire la même étroitesse d’esprit. Je me pliais à ta rigueur paternelle. C’est une éducation en tout cas qui ne laisse pas indemne.

Ta cuisine pourtant réjouissait tout le monde. Tu faisais naître des sourires par la seule grâce de tes mets délicieux. Tu étais heureux. Un homme bien. Mais tu as tout gâché ce jour-là. Tu m’as appris l’étrange vérité. Tu as attendu dix-huit ans. Tu m’as conditionné pendant ce temps-là, me façonnant lentement mais sûrement. Je n’ai rien dit. Je n’ai pas commenté. Des cannibales de renom. J’ai absorbé les mots, j’en ai sucé la moelle malfaisante, je les ai faits mien. Depuis je me mens. Je n’ai jamais eu la notion de bien ou de mal. C’est normal de manger des gens, la chair d’un être humain comme vous et moi, quelle différence après tout ? On naît et on meurt tous. Même combat.

J’ai monté ma propre chaîne de restaurants. J’étais un jeune chef plein de promesses. Une sorte de révolutionnaire culinaire. Mon palais expérimenté ne laissait rien au hasard. Dans ma cuisine, je devenais le maître de l’univers. On m'appelait l'Ogre aux fourneaux.

J'étais fort. Libéré du joug de mon père, je pus enfin apprécier la vie : goûter ma passion et partager celle d'une femme. Lena. Tu m'as enlevé, tu as rompu mes chaînes, tu m'as sauvé. A l'aube de notre amour, j'ai vu en Mariehamn un El Dorado.

J'ai essayé de te rendre heureuse, vraiment. Je pensais que nos jolies filles te combleraient. Qu'est-ce qui n'allait pas chez moi ? Suite à une analyse de sang, tout m'a paru clair. Ces enfants n'étaient pas de moi. Je ne pouvais pas donner la vie. Tu pleurais à mes côtés, tu te sentais coupable. J'ai rien dit, encore une fois. Pas un mot. Je n'étais pas moins blessé. Qui est l'heureux élu ? J'ai senti mes antécédents reprendre le dessus. Le divorce et puis...

[...]

Je ne me souviens pas. Elles sont parties. Ailleurs, loin. Crime passionnel ? Vengeance du mari trompé ? Cela a animé nombre de chaumières et les veillées au coin du feu à l'heure où on se raconte des histoires pour faire peur. D'un seul coup, les quelques amis que j'avais se sont envolé. La mort aux trousses, j'ai vécu reclus. J'ai même pendant un temps arrêté la cuisine. Ne supportant plus ma condition, j'ai pris une lourde décision.

Je vous ai adoptés.

Mes chers enfants, ne me jugez pas trop vite.

Condamnez-moi, mais ne me haïssez pas. J'ai voulu votre bonheur. Sept enfants, sept garçons, sept âmes que j'ai nourris, logés, aimés éperdument. Plus que s'il s'était agi de ma propre chair. Mais ma fortune vous intéressait davantage qu'un Père pour veiller sur vous et vous apprendre à devenir des hommes. Vous avez trahi ma confiance et mon dévouement. Hélas, il est trop tard pour pardonner. Vous êtes tels un cancer qui ratatine mes cellules et je ne trouverai sans doute pas le repos avant d'avoir récupéré le peu de dignité qu'il me reste. Rendez-moi la vie ou c'est moi qui prendrai la vôtre, je le jure.

Cependant, vous avez offert toutes les espérances à votre Père adoptif. J'ai cru que je pourrais recommencer à zéro, faire un montage de ma vie, effacer la douleur et le chagrin. Si seulement...Quand je t'ai vu pour la première fois, tu avais l'air d'un petit délinquant. Pourtant, en mon for intérieur, je t'aimais déjà, même avec rudesse. J'ai eu une relation houleuse avec chacun d'entre vous d'ailleurs, mais j'étais convaincu que nous formions une véritable famille. Boann, tu étais le petit dernier et le plus futé de cette fratrie. Je n'osais pas me l'avouer, tu étais malgré tout le préféré, celui auquel j'accordais le plus de clémence. Et ça, les autres ne l'ont pas accepté.

Tu volais et alors ? Je ne te grondais pas, je voulais juste que tu n'aies pas d'ennuis. Je corrigeais vos travers par quelques subtiles réprimandes. Pas de cris, pas de colère noire, juste une voix posée pour vous expliquer les choses du monde.

Cet hiver-là je m'en souviendrai toute ma vie. Tu es resté à mes côtés tout le temps de ma convalescence. J'étais au plus mal. Une infection. Je n'entrerai pas dans les détails, mais ça m'a fait un choc, car je n'étais pas le genre à tomber malade, mon père m'ayant suffisamment immunisé contre tout accès de fièvre, grippe et ainsi de suite, en me confrontant au froid de décembre dès mon plus jeune âge. Imaginez mon mécontentement quand le médecin m'a prescrit du repos, beaucoup de repos, peut-être plusieurs semaines s'il le fallait. Ma fatigue extrême m'a fait délaisser mes enfants. Toutefois, ils s'en accommodaient parfaitement.

Je ne voulais pas que tu me vois aussi vulnérable. En même temps, je recherchais de la tendresse et du réconfort. Tu m'aidais à me changer, tu t'asseyais près de moi et tu me lisais un livre, j'en avais une sacrée collection. Tu piochais au hasard et tu m'enlevais mes soucis. Quand je tremblais de froid, tu te couchais à mes côtés et me prenait naturellement dans tes bras. La crise passait. J'étais mi-embarrassé, mi-...ravi ? - Excité ? - Bouleversé ?

Il n'y avait rien à comprendre. Je l'aimais d'une façon différente, entière. A l'insu de mon plein gré, je devenais de plus en plus chaleureux envers lui, multipliant les marques d'affection, les présents. Je lui prodiguais de la douceur aussi. En réalité, j'étais un être brisé qui cachait un trop plein d'amour. J'étais mortifié à l'idée qu'il me rejette. Pire qu'un ado au moment de la puberté, j'étais confus en sa présence, excessivement maladroit. On s'entendait merveilleusement, allais-je devoir mettre un terme à mon sentimentalisme exacerbé pour notre bien à tous les deux ?

Parce que c'était toi. Tes lèvres ont caressé les miennes. Mais ce n'était pas...ce n'était pas un désir inavouable ou l'interdit, c'était de l'amour dans sa pureté éthérée. Rien de choquant. A peine surprenant à dire vrai. Nos âmes se parlaient, elles chuchotaient, coïncidaient, si bien que l'issue de la relation tendait naturellement vers cette allégresse des cœurs. Mes bras se referment sur toi à croire qu'ils ont été faits pour ce simple geste.

Mais je me suis brûlé au contact de ta peau, Boann. Tu avais ce pouvoir de ravir mes sens. Tu me dérobais corps et âme. On s'est détruits. Nous avons été trop loin sans doute. Folie à deux. J'ai avalé ton souffle, j'ai respiré ton parfum enfantin, j'ai perdu la vue. Et les autres ? Ils m'ont poignardé dans le dos. Tout ça à cause de l'argent qui asservit tous les hommes.

Il y a eu un scandale. Je suis passé de l'amour fou à la prison. Changement de décor radical. Et l'amertume est venu enrober ma solitude désespérée. C'est allé très vite. Les gosses ont avoué, ont rajouté de sombres détails. Étude de mœurs, anormalité congénitale. Cela plaît aux foules. Mais le coup de grâce fut délivré par Boann. Toi aussi.

Que fais-je dans cette chambre miteuse ?

J'attends. Les heures passent. Ma douleur trépasse, laissant place à un vice dégénéré. A killer inside me. Je ne me reconnais pas. Ce goût cuivré envahit ma bouche. Le sang. Un appel insidieux. Ils ne me verront pas venir. Je suis prêt.

Qui sera le premier ?